Haïti, un pays en agonie sans préméditation
- icisp3
- 15 juil.
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Haïti est en train de sombrer dans une agonie collective, comme si ses dirigeants – toutes tendances confondues – avaient consciemment élaboré un plan menant à l’effondrement de l’État, de la société et de l’espérance nationale. Pourtant, il ne s’agit pas nécessairement d’un complot obscur, ni d’un projet machiavélique ourdi dans l’ombre. Dans le cas d’Haïti, cette lente descente aux enfers résulte davantage d’un enchaînement de négligences, d’incompétences, de lâchetés ordinaires et d’absences de décisions, jusqu’à rendre l'effondrement presque inévitable.
L’agonie haïtienne est d’autant plus tragique qu’elle semble survenir sans préméditation, comme une lente démission collective. Elle prend racine dans l’indifférence, dans le manque de vision, dans la banalisation du mal commun. Il n’y a pas de bourreau clairement désigné à accuser. Et pourtant, la responsabilité est bien réelle, diffuse, partagée. Nous dénonçons souvent, mais nous agissons peu, ou pas du tout. Et pendant ce temps :
Ø Il y a toujours des belligérants sanguinaires ou des influences étrangères – parfois déguisées – que l’on évoque pour justifier l’échec collectif ;
Ø L’usure des institutions étatiques, rongées par le clientélisme, la corruption et la médiocrité, fragilise lentement mais sûrement l’État ;
Ø Les élites politiques, économiques et intellectuelles, par leur silence souvent complice ou leur retrait égoïste, laissent un vide béant où prospèrent l’anarchie, la violence et le populisme ;
Ø Le peuple, exténué, résigné ou manipulé, s’enferme dans une logique de survie immédiate, sans horizon collectif.
Haïti ne s’est pas effondré suite à un seul événement. C’est plutôt une accumulation de rendez-vous historiques manqués, de manquements successifs, de décisions banales aux conséquences tragiques. Chaque choix évité, chaque réforme reportée, chaque silence complice a contribué à la fragilité croissante de notre nation.
Par exemple :
Ø Les décisions politiques, même lorsqu’elles sont manifestement destructrices, finissent par paraître normales, tant le seuil de tolérance au chaos s’est élevé ;
Ø Faute de planification rigoureuse et de réformes structurelles, nos gouvernants se contentent d’improviser dans l’urgence, sans cap ni vision ;
Ø L’ignorance généralisée, l’effondrement du système éducatif, la déliquescence des services publics sont perçus non comme des drames urgents, mais comme des fatalités inévitables – alimentées par un discours défaitiste que relayent parfois les médias eux-mêmes.
Le philosophe irlandais Edmund Burke écrivait : « Le mal triomphe lorsque les hommes de bien ne font rien. » Cette maxime résonne douloureusement en Haïti. Car si les citoyens de bonne volonté, sains de conscience et riches de valeurs, refusent d’agir, leur inaction ouvre la voie à l’injustice, à la violence et à la décadence.
Le fait que cette agonie ne soit pas préméditée ne la rend pas moins grave. Une société qui refuse d’assumer ses responsabilités collectives finit par sombrer dans la misère, la fuite ou la violence. Haïti en est aujourd’hui un triste laboratoire.
Nous avons dépassé le stade de la crise passagère. La douleur collective est devenue structurelle. Ce que nous vivons n’est plus une phase, mais un état permanent de déliquescence. Lorsque plus personne ne croit en l’avenir du pays, il ne reste que la ruine ou l’exil.
L’effondrement haïtien, fruit d’un glissement progressif, aurait pu être évité. Ce n’est pas une fatalité. Ce n’est pas non plus une œuvre diabolique extérieure. Il s’agit d’un échec collectif à penser, à construire et à défendre un véritable projet national. Reconnaître cela constitue la première étape indispensable vers une éventuelle renaissance.
Ce sursaut, nous devons l’espérer et le provoquer à partir d’un noyau conscient : un petit groupe d’hommes et de femmes déterminés, prêts à sortir de leurs conforts intellectuels, économiques et sociaux pour affronter les responsabilités de leur génération. Car c’est bien là que réside le cœur du problème : nous nous attardons à débattre d’un prétendu complot international contre Haïti, alors que c’est notre propre inaction, notre manque de courage et nos choix faibles qui précipitent le pays dans l’abîme.
Comprendre que cette agonie est involontaire mais réelle est essentiel pour y résister. Cela exige un changement profond dans la manière de faire de la politique, dans la communication publique, dans l’éducation nationale, dans la manière d’informer, de mobiliser, de débattre. Cela demande une participation citoyenne accrue et une réappropriation de notre destinée collective.
Il est encore temps de réveiller les consciences avant le point de non-retour – mais ce seuil est proche. C’est pourquoi il faut cultiver la vigilance, encourager les mobilisations civiques, et exiger la lucidité des élites. Car Haïti risque de mourir doucement, sans cri, sans violence spectaculaire, comme dans Chronique d’une mort annoncée de Gabriel García Márquez. Et cette mort annoncée, nous pouvons encore l’éviter.
Professeur Toussaint Hilaire
Dimanche, 13 juillet 2025
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